Une longue histoire de harcèlement sexuel
Quel soulagement d’apprendre la semaine dernière que le prix Nobel de Physique 2015 récompensait la découverte des oscillations de neutrinos et non pas celle d’exoplanètes, des planètes à l’extérieur du système solaire. Non pas que cette découverte ne le mérite pas, bien au contraire, mais parce que plusieurs pressentaient que Geoff Marcy pourrait recevoir ce prix avec Michel Mayor et Didier Queloz.
Geoff Marcy, professeur à l’Université de Californie à Berkeley, fait les manchettes des journaux depuis une semaine non pas en raison de sa notoriété en tant qu’astronome mais bien parce qu’une enquête interne conduite par l’Université l’a trouvé coupable de harcèlement sexuel envers plusieurs de ses étudiantes à Berkeley entre 2001 et 2010 suite à une plainte déposée par quatre de ses anciennes étudiantes. Mais ce qui ressort en ce moment n’est que la pointe de l’iceberg, car son comportement déplacé remonte à une trentaine d’années, alors qu’il enseignait à San Francisco State University.
C’est là que je l’ai connu en 1985 alors que j’étais étudiante à la maîtrise et chargée de cours au département de Physique et d’Astronomie. Déjà, à cette époque, il était bien connu pour entretenir des relations avec plusieurs de ses étudiantes. Mais à mon avis, ce n’est pas le seul manque au chapitre de la déontologie dont Marcy peut s’enorgueillir.
En 1987, sa collègue dans la recherche d’exoplanètes s’est rendu compte qu’il lui avait remis une copie modifiée de leur demande de subvention conjointe. Sur sa copie à elle, leur deux noms apparaissaient: lui était investigateur principal et elle, sa co-investigatrice. Mais la copie officielle de Marcy, celle qu’il avait soumis à l’agence de financement, ne portait que son nom à lui.
Elle dénonça ce subterfuge au directeur du département, qui la congédia sur le champ. Marcy était le plus prometteur de son département. Elle logea alors une plainte formelle pour inconduite professionnelle contre Geoff Marcy. Mais elle ne pu retrouver son emploi et quitta le domaine de l’astronomie. Dans la foulée de ces évènements, quelques personnes tentèrent d’attirer l’attention de la direction de SFSU sur le comportement inapproprié de Geoff Marcy auprès de ses étudiantes.
Le Code de Conduite de l’époque interdisait formellement aux professeurs d’entretenir des relations intimes avec leurs étudiantes. Nous n’avons malheureusement pu convaincre aucune de ces femmes de porter plainte contre Marcy. L’une d’elle me confia plusieurs mois plus tard qu’à l’époque, elle sortait avec Marcy et pensait que j’étais folle de vouloir porter plainte. Mais avec du recul, une fois la relation terminée, elle avait compris comment elle s’était fait avoir. A ma connaissance, Marcy fut simplement avisé par l’Université que son comportement enfreignait le Code de Conduite et qu’il devait cesser. Mais c’est malheureusement encore la solution retenue par l’Université de Berkeley même si Marcy a été trouvé coupable de harcèlement sexuel, et même si 22 de ses collègues réclament sa démission.
Cette situation dépasse pourtant de beaucoup les propos tenu par le Professeur Tim Hunt. Ce biologiste, médaillé Nobel, avait affirmé qu’il était difficile de travailler en laboratoire avec des femmes car elles pleuraient tout le temps.
Combien de femmes ont quitté les sciences à cause de Geoff Marcy ou un de ses semblables? Je me réjouis donc de voir que plusieurs astronomes (Katie Mack, Ruth Murray-Kay, John Johnson) osent dénoncer Marcy. Je me réjouis aussi de voir que malgré tout, plusieurs des victimes de Geoff Marcy, parmi celles qui ont osé parler et d'autres, sont désormais des astronomes réputées, loin de son emprise. Au lendemain de la journée Ada Lovelace, où on célèbrait les accomplissements des femmes en sciences, je salue la résilience et la détermination de ces femmes.
Pauline Gagnon
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